samedi 16 février 2013

Plotine

  Bon, voilà j'aime bien ce portrait de l'impératrice Plotine (femme de Trajan) dans les Mémoires d'Hadrien (Yourcenar). C'est une femme forte et je trouve cela assez cool ^^.



  "Et c'est alors que m'apparut le plus sage de mes bons génies: Plotine. Il y avait près de vingt ans que je connaissais l'impératrice. Nous étions du même milieu; nous avions à peu près le même âge. Je lui avais vu vivre avec calme une existence presque aussi contrainte que la mienne, et plus dépourvue d'avenir. Elle m'avait soutenu, sans paraître s'apercevoir qu'elle le faisait, dans mes moments difficiles. Mais ce fut durant les mauvais jours d'Antioche que sa présence me devint inestimable, comme plus tard son estime le resta toujours, et j'eus celle-ci jusqu'à sa mort. Je pris l'habitude de cette figure en vêtements blancs, aussi simples que peuvent l'être ceux d'une femme, de ses silences, de ses paroles mesurées qui n'étaient jamais que des réponses, et les plus nettes possible. Son aspect ne détonnait en rien dans ce palais plus antique que les spendeurs de Rome: cette fille de parvenus était digne des Séleucides. Nous étions d'accord presque sur tout. Nous avions tous deux la passion d'orner, puis de dépouiller notre âme, d'éprouver notre esprit à toutes les pierres de touche. Elle inclinait à la philosophie épicurienne, ce lit étroit, mais propre, sur lequel j'ai parfois étendu ma pensée. Le mystère des dieux, qui me hantait, ne l'inquiétait pas; elle n'avait pas non plus mon goût passionné des corps. Elle était chaste par dégoût du facile, généreuse par décision plutôt que par nature, sagement méfiante, mais prête à tout accepter d'un ami, même ses inévitables erreurs. L'amitié était un choix où elle s'engageait tout entière; elle s'y livrait absolument, et comme je ne l'ai fait qu'à l'amour. Elle m'a connu mieux que personne; je lui ai laissé voir ce que j'ai soigneusement dissimulé à tout autre: par exemple, de secrètes lâchetés. J'aime à croire que, de son côté, elle ne m'a presque rien tu. L'intimité des corps, qui n'exista jamais entre nous, a été compensée par ce contact de deux esprits étroitement mêlés l'un à l'autre.
  Notre entente se passa d'aveux, d'explications, ou de réticences: les faits eux-mêmes suffisaient. Elle les observait mieux que moi. Sous les lourdes tresses qu'exigeait la mode, ce front lisse était celui d'un juge. Sa mémoire gardait des moindres objets une empreinte exacte; il ne lui arrivait jamais, comme à moi, d'hésiter trop longtemps ou de se décider trop vite. Elle dépistait d'un coup d’œil mes adversaires les plus cachés; elle évaluait mes partisans avec une froideur sage. En vérité, nous étions complices, mais l'oreille la plus exercée eût à peine pu reconnaître entre nous les signes d'un accord secret."

1 commentaire:

  1. bonjour l'univers, est ce que par hasard on saurait dans quelle partie des Mémoires d'Hadrien ce passage se situe ? mercii :)

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